PON2
VICOMTES DE CASTELLNOU SEIGNEURS DE PONTELLA
Comme on l'a vu, la possession
de la Seigneurie de Pontella par les vicomtes de Vallespir ou de
Castellnou ne semble clairement constatée que vers la fin du 11e
siècle, à l'époque même où les droits des anciens vicomtes
de Conflent et de Cerdagne passaient aux vicomtes d'Urgell ou de
Castellbo. L'archidiacre d'Elne, Guillaume de Castellnou, qui
prenait aussi le titre de Vicomte, fit testament en 1091; il
léguait aux chanoines de Saint-Pierre de Castellnou l'alleu
qu'il avait acheté dans la villa de Pontella. Cependant le titre
vicomtal appartenait alors à son neveu Guillaume II, dit
Guillaume Hualguer, c'est-à-dire fils d'Hualguer, connu depuis
1088 jusqu'en 1124. Par acte de l'an 1115, le vicomte Guillaume
II, son épouse Ermessende, et leur fils Hualguer, archidiacre
d'Elne, Jauzbert rt Artald, renoncérent au tiers des dimes de
Pontella, en faveur de l'église Saint-Etienne dudit lieu,
moyennant 70 sols monnaie de Perpignan, qui leur furent payée
par Pierre, évêque d'Elne et le chapelain Pierre Pons.
L'archidiacre Hualguer de Castellnou qui figure dans ce document,
fut le successeur de l'évêque Pierre au siège diocésain, et
c'est à lui que l'on devait la confection du Cartulaire d'Elne,
le plus riche et le plus précieux recueil de documents
historiques que l'ancien Roussillon nous eût transmis et dont la
majeure partie se trouve aujourd'hui malheureusement perdue.
Quant au chapelain Pierre Pons qui figure aussi dans cet acte, on
pourrait croire que c'était le curé ou recteur de l'église de
Pontella, s'il n'était désigné comme serviteur ou ministre de
Sainte Marie de Belloch dans un acte de l'an 1121, par lequel
Bernard-Beranger de Llupia, vicomte de Tatzo et son épouse
jordana laissaient à l'église de Pontella la moitié de la dime
de spigulads, et engageaient l'autre moitié à Sainte-Marie de
Belloch et à Pierre Pons son serviteur : millimus in pignora
Beatæ Mariæ de Belloi sic et Petro Poncio servitori suo, Marca
N°567. L'église Sainte-Marie de Belloch était située dans la
ville haute d'Elne à l'endroit où fut établi plus tard le
couvent des capucins; ce fut au moyen-âge une des cures de la
cité, et Pierre Pons en était sans doute titulaire 1115 et
1121. JauzbertII ou Jauzbert-Guillaume 1128-1153, fils du
précédent, fit une transaction en 1128 avec Pierre, évêque
d'Elne, au sujet du droit que ce dernier recevait sur les pacages
du Roussillon et du Vallespir. Ce droit, qui n'était autre chose
que le tiers desdits pacages, devait être partagé désormais en
deux parts, l'une pour l'évêque, l'autre pour le vicomte; mais
la nouvelle convention n'était pas applicable aux paturages que
le Vicomte possédait à Pontella et à Camèles, Marca N°574.
Le vicomte Guillaume III, fils de Jauzbert II, n'a laissé aucun
souvenir relatif à Pontella1157-1172. Son fils Jauzbert III
1175-1193 fit donation de toute la dime qu'il possédait au
territoire de Pontella à frère Bérenger, prieur de
Saint-Nicolas d'Ayguaviva, le 7 des calendes d'août 118. Ce fut
de son vivant qu'eurent lieu, à partir de 1185, diverses
donations et ventes de terres et de portions de l'étang de
Karatg sis au territoire de Pontella, faites aux Templiers du Mas
Deu par Arnald de Mudagons et Arnald de Canohes. Guillaume IV,
fils du précédent 1193-1249, épousa Raymunda de Crexell dont
il eut au moins cinq enfants: Jausbert et Guillaume, qui lui
succédérent dans la vicomté de Castellnou; Pierre, qui fut
évêque de Gerona, de 1254 à 1279; Dalmau, qui épousa Stella
Pauc, de Perpignan, dame de Castell Rossello et d'Avalri, dont
les descendants continuérent la lignée de Castellnou jusqu'en
1378; enfin, Saurina qui épousa Berenger de Botonac et en eut,
entre autres, un fils, Jazbert de Botonac, qui fut évêque de
Valence de 1276 à 1288. Le seul fait que nous ayons à citer
ici, pour la seigneurie de Guillaume IV, est un échange du 7 des
ides de février 1197, par lequel frére Guirald Segui, prieur de
Sainte-Marie de Panissars, cédait à Jauzbert de Serra,
précepteur du Mas Deu, toutes les possessions de son prieuré à
Vilamulaca et Anyils, et recevait en retour vingt-cinq champs,
vignes et jardins que les templiers avaient acquis au territoire
de Pontella et douze autres pièces de terre à Toluges. Le
prieuré de Panissars situé au sommet des Pyrénées, sur le
passage aujourd'hui abandonné à l'ouest du Perthus, était à
l'origine une obédience de l'abbaye d'Arles et plus tard de
l'abbaye de Ripoll, et ses nouvelles possessions de Pontella
devinrent les plus considérables de sa mense conventuelle. Le
Prieuré était obligé de mettre en réquisition presque tous
ses vassaux, pour faire valoir cette exploitation. C'est ainsi
que, le 2 des ides de mars 1303, le prieur Pierre de Saint-Gil,
inféodait deux manses sis au Perthus à Jean Salaverd, qui
s'engageait à fournir deux jours de corvée pour transporter le
blé de Pontella audit monastére. Le 29 novembre 1356, André
Périch, de Maurellas, reconnaissait tenir pour le prieuré de
Panissars un manse sis à Vilartzell pour lequelil était tenu de
faire annuellement, entre autres servitudes, une joua, c'était
la journée d'un attelage, de toute une semaine, c'est-à-dire de
six jours complets, à Pontella, à moins qu'il n'eût pas de
bufs. Jauzbert IV, fils aînbé du précédent, vicomte de
Castellnou de 1260 à 1268, épousa Ava, fille du vicomte Pierre
de Fonollet qui avait été dépossédé de ses biens comme
hérétique albigeois ou fauteur d'hérésie et s'était retiré
au Mas Deu où il fut enseveli vers l'an 1242. Par son contrat de
mariage du 6 des ides de janvier 1245, Jauzbertreconnaissait que
son épouse lui avait apporté en dot 3.000 sols de Malgone avec
divers droits et revenus dans laparoisse de Caméles, pour
lesquels il lui fournissait hypothéque sur tous ses biens et
spécialement sur tout le château et lieu de Pontella avec tous
ses droits, tenances et dépendances, savoir, avec hommes et
femmes, censives, usages, redevances foncières, fiefs, alleux,
prés, prairies, pâturages, albergues, quarts, quints, agrers,
foriscapis, lods, justices, droits seigneuriaux ou autres
quelconques à lui ou à ses parents appartenant en dite villa de
Pontella, territoires d'icelle et en toutel'adjacence de la
paroisse de Saint-Etienne. Cette union ne fut pas heureuse, car
les deux époux demandèrent leur séparation, nous ne savons
pour quels motifs. Mais le procés traina en longueur causa
diucius agitata, et les deux parties convinrent de fixer le terme
dans les limites duquel la sentence de divorce ou de séparation
devait être prononcée par l'abbé de Saint-Genis. C'est dans
cette prévision que, le 4 des calendes de février 1266, janvier
1267, le vicomte Jauzbert promit de restituer à dame Ava les
3000 sols qu'elle lui avait apportés en dot, ainsi que son
honneur de Caméles. Il s'engageait en outre, dans le cas où la
sentence de divorce entre eux serait rendue dans le délai qu'ils
avaient fixé, de payer à dite dame Ava 2.000 sols de Malgone
par pure libéralité et pour les dépenses qu'elle avait dû
faire dans le procés matrimonial plaidé entre elle et lui.
Cette sentence fut en effet prononcée peu de temps aprés, car
le 14 août suivant, 19 des calendes de septembre 1267, dame Ava
de Fonollet se donna corps et biens à l'hôpital d'Ille, où
elle prit l'habit religieux, avec le désir de servir le Seigneur
Dieu, la glorieuse Vierge, sa mère, Saint Jacques et les pauvres
de Jésus-Christ. Elle mourut dans cet établissement en 1299,
aprés avoir renouvelé, 18 des calendes de mai 1297, la donation
qu'elle lui avait faite de tous ses biens, voulant ajoute-t-elle,
que ledit hôpital d'Ille paie mes dettes et mes torts et
injustices, et en particulier 64 sols à certains de Pontella
desquels j'avais eu ou exigé seize eymines d'orge qui valaient
alors quatre sols l'eymine. Quant au vicomte Jausbert, nous le
voyons moins d'un an aprés dans le royaume de Valence où il
était peut-être allé en expédition guerrière à la suite de
Jacques-Le-Conquérant. Il y tomba bientôt malade et y mourut
aprés avoir fait son testament. Voici le début de ce document
fait à Valence le 11 des calendes de juin 1268: tout ce que la
nature a composé doit se dissoudre naturellement, et le corps de
l'homme étant composé de quatre éléments qui différent par
leurs qualités, il s'ensuit qu'il doit aussi être dissous par
la nature. Ainsi donc l'homme, tant que son âme unie au corps
peut accomplir les actes dont le créateur l'a douée,
c'est-à-dire l'imagination, la raison et la mémoire, doit se
rappeler le passé, régler le présent, et même prévoir
l'avenir, puisque, s'il est sage, il doit vivre comme s'il devait
mourir demain. C'est pourquoi, au nom de Dieu et par sa grâce,
moi, Jausbert, vicomte de Castellnou, considérant qu'il a été
dit qu'il n'y a rien de plus certain que la mort et rien de moins
incertain que son heure, craignant les peines de l'enfer et
désirant arriver aux joies du paradis, me voyant atteint d'une
maladie dont je crains de mourir, en mon plein et ferme bon sens,
avec plein usazge de la mémoire et de la parole, je fais et
ordonne mon testament...Je veux et mande qu'aux chevaliers
écuyers et autres qui ontété au servicede ma personne et de ma
maison, il soitfait rétribution de ce que je pourrais leur
devoir, en raison de leur service et travail, à la connaissance
du seigneur évêque de Gérona mon frére. Je reconnais en
outre, que j'ai exigé de mes hommes et que j'en ai reçu
indument, beaucoup de choses dont je veux qu'il leur soit fait
restitution et amende; et si par moi ou par mes predecesseurs, il
a été introduit à leur charge quelques coutumes ou servitudes
indues quant à Dieu, qu'elles leur soient entièrement levées
et retirées, à la connaissance de mes manamisseurs et d'aprés
le conseildes sages, sapientum: hommes de loi. Le vicomte voulait
être enseveli dans le cimetière de la chevalerie du Temple, et
aprés avoir fait divers legs pieux pour la réparation de ses
injures et omissions, que nulle sunt el magne, il instituait
héritier universel son frére Guillaume de Castellnou. Ce
testament reçu par Raymond Maçana, notaire public de Valence,
se termine ainsi: Les témoins de cet acte sont Bernard de
Crexel, chevalier, Guillaume de Corbos, chevalier, Pierre de
Girona, écuyer et Barthélemi de Castro, lesquels témoins ont
été ici écrits et mis de la main du notaire soussigné, cum
ipsi nesciant scribere. Les deux chevaliers illétrés qui
avaient accompagné le vicomte à Valence étaient Roussillonnais
et feudataires du testateur.
Guillaume V succéda à son
frère (1268-1284) et épousa Ava de Vernet, fille et héritière
de Pons de Vernet. Il obtint, le 8 des ides de décembre 1271, de
l'infant Jacques, qui administrait déjà le Roussillon avec le
titre de futur héritier du royaume de Majorque, un privilégepar
lequel le souverain reconnaissait tous les droits et possessions
que le vicomte de Castellnou tenait en fief pour la couronne,
entre autres : toutes les justices civiles et criminelles, ainsi
que le mère et mixte empire dans toute la paroisse de
Saint-Étienne de Pontella.
Aux ides de mai 1277, le vicomte Guillaume concédaiten fief à
ce même chevalier illétré Bernard de Crexell, qui avait
accompagné Jausbert de Castellnou à Valence, quatorze charges
d'orge à prendre sur la dîme de Pontella, fief que feu Pons de
Vernet avait déjà tenu pour les predecesseurs de Guillaume.
Cette branche de la famillede Crexell s'établit sans doute alors
à Pontella où nous la retrouvons plus tard. Nous trouvons aussi
à ladate du 15 des calendes de septembre 1279 un bail à ferme
de tous les droits, fruits, pailles, herbages et autres revenus
du château de Pontella, consenti pour deux ans par le procureur
du vicomte Guillaume à Arnald Cavalaria, de Thuir, au prix
annuel de 3.375 sols barcelonais. Guillaume vivait encore en
1283; il mourut sans doute peu après, et son fils Jazbert V
luisuccéda, à la veille de l'une des épreuves les plus
terriblesque le Roussillon ait eu à subir.
En 1285, le roi de France Philippe III entre en Roussillon par le
passage de Salses, pour mettre à exécutionla sentence du pape
qui avait déclaré le roi Pierre d'Aragon excommunié, déchu de
tous ses droits et mis,pour ainsi dire, hors la loi. Le roi
Jacques de Majorque avait pris parti contre son frère et
ordonné à tous ses sujets de recevoir les Français comme des
alliès et amis. Mais beaucoup de seigneurs roussillonnais, entre
autres Jazbertde Castellnou, embrassèrent le parti du roi
d'Aragon; les principaus habitants de Perpignan et de Collioure,
toute la cité d'Elne et beaucoup de gens de campagnes en firent
autant, et prirent les armes contre les français. La ville
d'Elne, Vilanova-de-Raho et beaucoup d'autres lieux furent mis à
feu et à sang et expièrent rudement le crime d'avoir pris la
défense des excommuniès . Quant aux Roussillonnais qui ne
purent être atteints, ils furentdéclarés félons et rebelles,
coupables du crime de lèsemajesté, et leurs biens furent
confisqués au profit du roi de Majorque. On trouve dans leur
nombre un certainGuillaume Rocalba de Pontella.
Il n'était pas mçeme nécessaire d'avoir pris les armespour
être déclaré traitre, ennemi du roi et de la patrie. Il
suffisait d'avoir été déclaré émigré, comme on le disait
sous la révolution, ou mçeme d'çetre tout simplementabsent ou
en pays ennemi, quel qu'en fût le motif, pourque les liens de
l'absent, ou à son défaut, de ses parentsfussent confisqués,
séquestrés et mis en vente. Il résulteen effet d'une sentence
des commissaires royaux, rendue le 16 des calendes de mai 1293,
que tous les biens deStéphanie, Veuve de Bernard Pons de
Pontella, avaientété saisis au nom du roi de Majorque, parce
que, pendantla guerre de 1285, son fils Arnald Pons: se trouvait
aupays de Valence, chez les ennemis du roi de Majorque. Lorsque
ce jeune homme rentra dans son pays, il déclara: qu'étant
enfant, il y a bien douze ans de cela, il avait étéen effet
appelè à Valence par son oncle P. Garriga, clerc,habitant de
cette cité, qui voulait faire son éducation; mais il protestait
contre toute pensée d'hostilité envers le roi de Majorque, pour
lequel il avait toujours professéun profond dévouement et la
fidélité la plus absolue,dont il renouvelait d'ailleurs le
serment en tant que debesoin. Ses biens lui furent restitués et
le commissaire royal écrivit au bailli de Pontella pour faire
lever le séquestre des propriètès, dont la mise en vente avait
ètè déjà criée, ou affichée, comme on disait sous la
révolution. Rappelon que Jazbert de Botonac, évçêque de
Valence de 1278 à 1288, était fils de Saurina de Castellnou,
sur de Guillaume V, et l'on comprend que ce prélat eût
attiré auprés de lui quelques Roussillonnais, ecclésiastiques
ou autre"s, et notamment des vassaux de son cousin-germain.
Les biens du vicomte Jazbert de Castellnou, mis également sous
séquestre, ne lui furent restitués qu'aprés la paix de 1298
définitivement conclue entre le roi d'Aragon et celui de
Majorque. Le 3 des nones d'aout 1311 il préta serment de foi et
hommage au nouveau roiSanche de Majorque pour les justices de
Pontella et de ses autres seigneuries. Mais la situation
pécuniaire du vicomte était assez embarassée ; en effet par
lettre du 7 des calendes de février 1312, janvier 1313 il
mandaitau chevalier Raymond de Crexell, son procureur, demettre
François d'Anglada, marchand de Nîmes, en possession du
château de Pontellaet de ses dépendances,pour une somme
d'argent qu'il lui devait. Lcréancier fut en effet installé
dans cette seigneurie, sauf le droitde Pierre de Seragossa et de
quelques autrespersonnes qui avaient aussi quelque hypothèque
surce domaine. Les gens de Pontella firent aussi quelques
difficultés pour reconnaître le nouveau seigneur et, pourmettre
tout le monde d'accord, le viguier de Roussillonmit le château
sous séquestre. Cependant le roi Sanche,aprés avoir entendu les
raisons des deux parties,ordonna par lettre du 8 des ides
d'octopbre 1313 la levée du séquestre et le maintien de la
possession prise par lemarchand de Nimes qui jouit sans doute de
ce gage jusqu'au parfait payement de la somme qui lui était due.
Le vicomte Jazbert eut ensuite à soutenir contre Pierre de
Fonollet, vicomte d'Ille, une guerre privée amenée, entre
autres motifs, par la rupture d'une promesse de mariage qui avait
étè faite entre Perico de Fonollet, fils du vicomte d'Ille, et
Francisca, fille du vicomte de Castellnou, laquelle, parait-il,
épousa plus tard Pierre de Queralt et lui apporta en dot la
seigneurie de Céret provenant d'Ava de Vernet. Jazbert V mourut
en 1321, et laissa sa succession à sa fille Sibille, sous la
tutelle de Gauceranda, sa seconde épouse; mais le titre de la
vicomté de Castellnou s'éteignit avec lui.